L’odyssée pénale d’UBS : risque et opportunité de refuser une CJIP

23.04.2024

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Dans une affaire de démarchage illicite et blanchiment de fraude fiscale, rappelant parfois la longue Odyssée d’Ulysse, si ingénieux qu’après avoir pillé Troie par ruse,il pensait encore pouvoir éviter et Charybde, et Scylla, la banque suisse UBS AG est prise dans des démêlés avec la justice française qui se prolongent depuis 20 ans.

L’ancien responsable de l’audit interne au sein de la banque UBS en France, Nicolas Forissier, qui vient d’être décoré de l’Ordre national du mérite, alerte en 2003 la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI) de sa découverte d’un fichier Excel dénommé « Vache » : en dépit de cet intitulé à consonance paysanne,le fichier concernait en réalité des opérations financières transfrontalières proposées à des prospects français par les chargés d’affaires suisses. Ces opérations issues du démarchage illégal de clients français par la banque suisse, étaient recensées à l’aide d’un outil manuel surnommé « carnets du lait » (d’où l’intitulé Vache), par référence aux carnets du lait des fermiers suisses.

Selon les précisions apportées par l’un des prévenus, et reprises dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 décembre 2021 (CA Paris, pôle 2, ch. 12, 13 déc. 2021, n° 19/05566 : Dr. fisc. 2022, n° 7, étude 115, A. Rousseau et G. Pellegrin, spéc. n° 5.), faisant honneur au pragmatisme helvétique, ces opérations off-shore étaient considérées comme du « simple money » soit de « l’argent sans problème », clairement distingué du « complex money », « l’argent où se posaient les problèmes de fiscalité tout à fait légal [sic] ».

Cette affaire pénale hors norme à tous les égards, – qu’il s’agisse tant de la peine record retenue en première instance par les tribunaux français 2 (3,7 milliards d’euros d’amende, outre 800 millions € de dommages-intérêts en réparation du préjudice de l’État français), que de l’ampleur du système d’aide à l’évasion fiscale reproché à la banque UBS, en passant par la longueur de la procédure initiée dès 2003, – a donné lieu à la décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 15 novembre 2023. Celle-ci retientl’attention à plusieurs titres, et notamment quant aux motifs retenus concernant
les règles de territorialité et de prescription (1), ainsi que les peines appliquées (T. corr. Paris, 32e ch., 20 févr. 2019, n° 11055092033 : JurisData n° 2019-002481 ; JCP E 2019, 1266, comm. G. Poissonnier.).

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