En résumé, dans ses trois arrêts du Conseil d’Etat du 13 juillet 2021 (no 437498, 428506 et 435452), le Conseil d’Etat a distingué les critères d’imposition de la manière suivante :
– A l’entrée du dispositif : des options d’achat d’actions (OAA) ou des bons de souscription d’actions étant acquis ou souscrits à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à cette date, la différence entre le prix ainsi acquitté et cette valeur réelle, représente un avantage. Cet avantage, lorsqu’il trouve essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié, a le caractère d’un avantage salarial, imposable au titre de l’année d’acquisition ou de souscription des options ou des bons, dans la catégorie des traitements et salaires.
– A la sortie du dispositif : la qualification de l’avantage à l’entrée est sans incidence sur la nature des gains réalisés ultérieurement par le contribuable lors de l’exercice de ces options ou bons, lors de la cession des titres ou lors de la cession des bons. Ainsi, la circonstance que l’attribution d’une option d’achat soit regardée comme un avantage trouvant sa source dans l’exercice des fonctions du salarié ou du dirigeant n’implique pas ipso facto que le gain de levée d’option relève également d’une imposition dans la catégorie des traitements et salaires. Ce gain est en principe imposable suivant le régime des plus-values de cessions de valeurs mobilières (article 150-0 A du CGI), et il revient à l’administration de démontrer au cas par cas que ce gain d’exercice trouve au contraire sa source dans le contrat de travail ou le mandat social de l’intéressé, pour le faire basculer dans la catégorie des traitements et salaires.
Le raisonnement suivi par le Conseil d’Etat pour les options d’achat d’actions, a été repris et étendu aux options de vente d’actions par sa décision du 5 juin 2023.
Ainsi en cas d’option d’achat d’actions, la jurisprudence précitée distingue d’une part le gain résultant du prix préférentiel de souscription de l’option d’achat, d’autre part la plus-value résultant de l’exercice de l’option et enfin la plus-value réalisée lors de la cession des actions. En cas d’option de vente d’actions le gain d’exercice de l’option et le gain de cession se confondent. Le critère déterminant de la qualification de la plus-value résultant de l’exercice de l’option de vente reste le même : il repose sur le rattachement du gain aux fonctions de dirigeant ou de salarié. Comme pour l’option d’achat, le gain réalisé lors de l’exercice de l’option de vente est en principe imposable selon le régime des plus-values de l’article 150-0 A du CGI, sauf si, par exception, cet avantage trouve essentiellement sa source dans l’exercice des fonctions de dirigeant ou de salarié, auquel cas il a le caractère d’un avantage en argent accordé en sus du salaire.
La jurisprudence du Conseil d’État tend ainsi à rationaliser et clarifier le régime d’imposition de ces opérations complexes qui ont donné lieu à tant de batailles fiscales.
Mais l’administration fiscale n’est pas seule à s’intéresser au management packages : les URSSAF commencent à y voir des gisements de cotisations sociales. C’est ainsi que la Cour de cassation vient de porter un coup très dur à ces moyens de motiver les cadres des entreprises, par un arrêt rendu en matière de cotisations sociales dues par la société le 28 septembre 2023 (Cass. 2e civ. 28-9-2023 n° 21-20.685 FS-B, Sté X c/ Urssaf d’Île-de-France).
La Cour confirme tout d’abord que dès lors qu’ils sont proposés en contrepartie ou à l’occasion de l’exercice des fonctions, et acquis à des conditions préférentielles, les BSA génèrent un avantage qui entre dans l’assiette des cotisations sociales (comme elle l’avait jugé précédemment : Cass., Civ. 2ème, 4 avril 2019, n° 17-24.470, Barrière).
Mais elle opère un revirement sur la question du fait générateur des cotisations sociales afférentes à cet avantage et, partant, de la date à retenir pour l’évaluation de la valeur de ces bons. Dans l’affaire en question, la société considérait que devait être retenue la date à laquelle les BSA étaient devenus exerçables en vertu du contrat d’émission de bon. La valeur des bons correspondait ainsi, selon la société, à la différence entre le prix acquitté au moment de la souscription et la valeur réelle de ces bons au jour de leur libre disposition, les pertes ou les gains réalisés ultérieurement lors de l’exercice de ces BSA n’entrant pas en ligne de compte dans l’évaluation.
La Haute juridiction n’a pas suivi ce raisonnement et juge désormais, en rupture avec sa jurisprudence de 2019, que le fait générateur des cotisations sociales afférentes à cet avantage s’entend de la cession ou de la réalisation des bons de souscription d’actions. L’avantage doit être évalué à la date de cet événement : la plus-value est ainsi calculée pour chaque bénéficiaire à la date d’exercice effectif de ses BSA. Elle correspond à la différence entre, d’une part, la valeur de l’action à la date de son acquisition et, d’autre part, le prix d’acquisition du bon et celui de l’action.
Il faut se représenter que la société supportera ainsi les cotisations salariales et patronales, sur une assiette potentiellement très large (la totalité de l’éventuelle prise de valeur des BSA entre la date d’attribution et celle de la cession ou de la réalisation des BSA), et ce alors même que l’employé concerné aura cessé ses fonctions au moment de la cession… La société qui subira un tel redressement de cotisations sociales, dans bien des cas considérable et assorti de majorations, sera tentée de se retourner contre son (ancien) salarié, pour récupérer la fraction salariale des cotisations. Des contentieux intenses en naîtront.
On peut vraiment s’étonner qu’une société se voie demander des cotisations sur une plus-value réalisée par un salarié, dont la société peut tout ignorer, comme s’il s’agissait d’un salaire versé par cette société : on est loin de la réalité économique, et on ne voit guère d’autre explication à cette jurisprudence que le souhait d’apporter de nouvelles ressources à la sécurité sociale.
On peut douter que les entreprises souhaiteront s’exposer à un tel risque, et penser que la Cour de cassation vient ainsi de mettre un coup d’arrêt à l’ère des management packages, en tout cas sous forme de BSA.
Eloïse de Tournemire, Avocat associé
Cabinet Turot