1 – Lorsque se produisit un bug critique dans les ordinateurs de Bercy, à la veille de la date limite de dépôt des déclarations de revenus, c’est par un tweet, suivi d’un communiqué, que le ministre des finances apaisa les contribuables internautes en leur accordant un délai supplémentaire.
Lorsqu’il est apparu opportun de répondre aux PME se plaignant de la complexité d’obtention du crédit d’impôt recherche (CIR), c’est par un communiqué de presse du 15 avril 2019 que la DGFiP a fait connaître une mesure de tolérance concernant la dispense du dépôt d’une déclaration.
Et surtout, car cette annonce fut particulièrement médiatisée, lorsque le ministre des finances voulut éteindre « l’incendie sur le démembrement », c’est par un communiqué de presse, le 19 janvier dernier, que Gérald Darmanin apaisa la crainte d’une remise en cause des démembrements de propriété au moyen du « mini » abus de droit.
Certains tweets peuvent avoir un effet indirect et même indésiré, comme de suspendre les travaux parlementaires d’examen de la loi de finances : c’est l’effet que provoqua un tweet de Gérald Darmanin relatif à un abattement fiscal plus avantageux pour les maires.
2 – Le moment est venu de se demander si les communiqués de presse et les tweets, qui sont en quelque sorte des communiqués de presse sans la presse, ont une portée juridique.
La question a été abordée récemment à l’occasion de la consécration du droit souple : Olivier Fouquet estime que certains communiqués peuvent se rattacher au droit souple au sens de la jurisprudence Numericable : « qu’en sera-t-il des communiqués du ministre ? […] le communiqué du ministre, pour prendre un exemple historique, qui enjoindrait aux contribuables, sous peine de sanction, de ne pas appliquer une jurisprudence récente de la Cour de cassation, dans l’attente d’une modification par les lois de finances de fin d’année du texte interprété par cette Cour, relèverait sans doute du droit souple ».
Le juge administratif n’avait d’ailleurs pas attendu la découverte du droit souple pour admettre que des communiqués puissent constituer des décisions – ou tout au moins, selon d’autres décisions plus circonspectes, la « révélation » d’une décision. Ils sont alors susceptibles d’un recours en annulation. Ainsi, en matière fiscale, l’abondant contentieux de Ruyter, relatif aux prélèvements sociaux sur les revenus patrimoniaux des non-résidents, a donné lieu à plusieurs recours en annulation dirigés non contre des paragraphes du BOFiP comme on aurait pu s’y attendre, mais contre les communiqués qui ont rythmé ce tango jurisprudentiel. C’est pour statuer sur la légalité d’un modeste communiqué de presse que le Conseil d’État a eu besoin de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle. Et, à réception de la réponse de la Cour, c’est un nouveau communiqué de presse du directeur général des finances publiques qui a relancé le contentieux.
Le contribuable est ainsi à demi rassuré : il pourra se défendre contre des communiqués inamicaux. Mais pourra-t-il invoquer ceux qui sont emprunts de douceur, devant lesquels on a envie de dire au ministre « Tes lèvres distillent des rayons de miel, le miel et le lait sont sous ta langue » ? La question cruciale, peu abordée en jurisprudence, est de savoir si le contribuable peut se fier à un communiqué de presse – ou maintenant à un tweet – comportant une mesure de tempérament ou une garantie, telle qu’un report de délai de déclaration ou une promesse de ne pas appliquer le « mini » abus de droit.
3 – Le Conseil d’État a admis qu’on puisse invoquer un communiqué de presse par lequel l’Administration avait décidé de proroger dans le temps l’application du régime de TVA des auto-écoles, se fondant implicitement dans sa décision sur la garantie contre les changements de doctrine. Le Conseil d’État prend en considération à la fois le communiqué et une note de la Direction générale des impôts ayant le même contenu ; mais on peut supposer que si le communiqué était sans valeur, le Conseil d’État ne s’y serait pas référé. Cet arrêt, qui demande à être confirmé il est vrai, donne à penser qu’un communiqué de presse a davantage de valeur qu’une déclaration faite par le ministre au cours des travaux parlementaires, car on sait, d’après une jurisprudence constante, qu’une telle déclaration dans l’hémicycle, quoique publiée au journal officiel des débats, n’est jamais opposable à l’Administration.
Il a été jugé, après quelques hésitations, qu’une prorogation de délai de déclaration est opposable à l’Administration sur le fondement de l’article 1649 quinquies E (devenu LPF, art. L. 80 A), en dépit du fait qu’une telle prorogation semble se rattacher plutôt à la procédure fiscale. Jusqu’ici, ces prorogations étaient annoncées par voie de communiqué de presse suivies d’une note, mais voici venu le temps où ils sont annoncés par tweets ; la solution ne devrait pas être différente.
4 – À côté de ces décisions encourageantes, de nombreuses autres refusent qu’un communiqué puisse être opposé à l’Administration, sans craindre de décevoir le contribuable qui lui avait fait confiance. En effet, les communiqués de presse que l’on rencontre au détour de quelques arrêts, généralement inédits, ne pouvaient guère, pour la plupart, prétendre remplir les conditions d’opposabilité exigées par les dispositions de l’article L. 80 A du LPF. Les motifs par lesquels ces communiqués ont été écartés sont toutefois fort variables et parfois surprenants.
Le plus célèbre des communiqués qui n’ont pas tenu leur promesse a été celui du ministre du budget indiquant que les contribuables pourraient se prévaloir de la charte du contribuable (il s’agit de la « charte Copé », et non de la charte du contribuable vérifié) et que son contenu engageait l’Administration : le juge fiscal a sèchement rabroué le ministre, au motif qu’il n’avait aucune compétence pour ce faire, et le communiqué n’a pas eu pour effet de rendre la dite charte opposable à l’administration fiscale 10. La solution a été confirmée par le Conseil d’État, qui n’a même pas jeté un regard sur le communiqué par lequel le ministre avait voulu rendre cette charte opposable.
Le contribuable ne devra pas non plus se réjouir trop vite devant un communiqué qui promet d’abandonner certains redressements. C’est ce qu’enseigne l’histoire de ce qu’on appelait la doctrine des œuvres : après la refonte de la doctrine de l’Administration sur le régime fiscal des associations, le Premier ministre a émis un communiqué, le 15 septembre 1998, prévoyant l’abandon des redressements en cours en cas de bonne foi. Mais lorsqu’une association, envers qui l’Administration n’avait pas tenu la promesse de son ministre, a tenté d’invoquer ce communiqué sur le fondement de l’article L. 80 A, la cour administrative d’appel de Paris a considéré que ce communiqué ne pouvait pas constituer une interprétation de la loi fiscale 12. La même Cour a, quelques années plus tard, adopté une motivation différente, également correcte en droit et tout aussi décevante, en relevant que ce communiqué était postérieur à l’expiration du délai de déclaration. C’était l’évidence, un tel engagement d’abandonner
des redressements en cours pouvant difficilement être antérieur au redressement qu’on promet d’abandonner. On voit combien la garantie de l’article L. 80 A du LPF est inefficace au regard de tels communiqués.
Un communiqué a pu également être considéré comme ne contenant qu’une « annonce » : il a ainsi été jugé qu’un communiqué du Premier ministre annonçant l’abandon des redressements mis à la charge des associations à caractère lucratif de bonne foi et l’octroi d’un délai pour se conformer à la loi ne constituait que « l’annonce de mesures prises ou à prendre par l’Administration », et ne comportait dès lors pas d’interprétation de la loi fiscale au sens des dispositions de l’article L. 80 A 14. Selon ce raisonnement, tout communiqué risque d’être inefficace, quel que soit son contenu, en
raison d’une distinction, qui sent la scolastique, entre l’annonce d’une décision et la décision elle-même.
On ne peut pas non plus exclure que le contribuable se heurte à un juge hermétique par principe aux communiqués de presse. Ainsi, la cour administrative d’appel de Marseille a jugé qu’un communiqué de presse « eu égard en tout état de cause à sa nature » ne pouvait être regardé comme comportant une interprétation d’un texte fiscal au sens des dispositions de l’article L. 80 A du LPF 15.
Même refus de principe de la part de la cour de Lyon 16. On n’ose imaginer quelle réaction auraient eu les mêmes juges si l’on avait eu le front d’invoquer un tweet. À défaut de faire échec au redressement, une promesse non tenue pourrait en principe engager la responsabilité de l’État ; mais, pour ne pas se heurter à l’exception de recours parallèle, le contribuable doit démontrer un préjudice autre que l’imposition elle-même. Difficile démonstration, comme le montre le recours d’une autre association qui, à défaut de pouvoir opposer à l’Administration un communiqué, a demandé réparation du préjudice moral subi du fait du redressement infligé en violation du communiqué.
La cour n’a pas disconvenu qu’un communiqué puisse engager la responsabilité de l’État, mais elle a estimé non établi le préjudice moral. On peut imaginer sans crainte de se tromper qu’il le sera
très rarement.
5 – Ce rapide panorama suffit à convaincre que la garantie de l’article L. 80 A du LPF est manifestement inadaptée au type de communication qui se développe à travers des communiqués de presse et maintenant des tweets. On peut être particulièrement inquiet depuis que l’Administration considère (le juge ne s’est pas prononcé) qu’à compter du 12 septembre 2012, la seule doctrine opposable au titre du deuxième alinéa du L. 80 A est celle qui est publiée ou reprise dans les commentaires du BOFiP, ce qui fait même peser une incertitude sur l’opposabilité des réponses ministérielles postérieures, même publiées au journal officiel, lorsqu’elles n’auront pas été pas reprises au BOFiP. Ce contexte de concentration matérielle de la doctrine n’est pas favorable à de nouveaux modes de communication. Il serait cependant dommage que communiqués et tweets soient systématiquement ignorés, alors
qu’ils peuvent contribuer, bien davantage qu’une mise à jour BOFiP, à la clarification et à la diffusion large et rapide de la règle fiscale et de ses assouplissements nécessaires.
Parler sur le nuage, est-ce parler en l’air ? Si au contraire le juge veut donner une valeur engageante aux communiqués et aux tweets, il pourrait s’armer du principe d’espérance légitime, que le Conseil d’État a remarquablement approfondi ces dernières années, et particulièrement ces derniers mois 18. L’interdiction de décevoir une espérance légitime, qui pèse de plus en plus sur le législateur, ne s’imposerait-t-elle pas du tout au ministre ?